L’indifférence de l’état antérieur de la victime en matière d’infection nosocomiale

Dans un arrêt en date du 6 avril 2022, la Cour de cassation rappelle à son tour la définition de l’infection nosocomiale et l’indifférence de l’état antérieur de la victime dès lors que l’infection est survenue au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge.

Dans cette affaire où un patient avait été admis dans une clinique en raison d’une fracture de la cheville, et y avait subi une ostéosynthèse, les suites opératoires avaient été compliquées par un gonflement de la cheville et une inflammation nécessitant une nouvelle intervention, à l’occasion de laquelle les prélèvements réalisés ont mis en évidence la présence d’un staphyloccus aureus multisensible.

Pour écarter le caractère nosocomial de l’infection, la cour d’appel avait retenu que le patient présentait un état cutané anormal antérieur à l’intervention caractérisé par la présence de plusieurs lésions, que le germe retrouvé au niveau du site opératoire correspondait à celui trouvé sur sa peau et que, selon l’expert judiciaire, son état de santé préexistant et son tabagisme chronique avaient contribué en totalité aux complications survenues.

L’arrêt d’appel est censuré par la Haute juridiction selon laquelle : « En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de l’existence de prédispositions pathologiques et du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection ne permettant pas d’écarter tout lien entre l’intervention réalisée et la survenue de l’infection, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » ( Cass. Civ. 1ère, 6 avril 2022, pourvoi n° 20-18.513)

Petit rappel de la définition de l’infection nosocomiale par le Conseil d’Etat

Un patient atteint d’une maladie chronique de l’intestin, bénéficiait d’une colectomie impliquant la réalisation d’une colostomie, réalisé le 1er mai 2009 à l’hôpital Saint-Louis de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP).

Le 6 mai suivant, il présentait une rétractation de sa colostomie ce qui provoquait une péritonite aiguë généralisée nécessitant une nouvelle intervention en urgence et lui laissant de nombreuses séquelles.

Par un jugement du 10 juillet 2018, le Tribunal administratif de Rennes jugeait que cette péritonite revêtait le caractère d’une infection nosocomiale et mettait l’indemnisation de la victime à la charge de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

L’ONIAM interjetait appel de ce jugement et par un arrêt du 2 avril 2020, la Cour administrative d’appel de Nantes annulait le jugement de première instance en tant qu’il mettait une somme à la charge de l’ONIAM et rejetait les conclusions indemnitaires présentées par le patient  contre l’ONIAM.

La Cour administrative d’appel considérait que la péritonite présentée par le patient le 6 mai 2009 ne revêtait pas le caractère d’une infection nosocomiale au sens des dispositions du texte précité. Pour ce faire, elle se fondait sur ce que cette infection avait pour cause directe la rétractation de la colostomie , accident médical non fautif qui est au nombre des complications susceptibles de survenir lorsqu’une colostomie est réalisée sur un patient souffrant de la pathologie dont le patient était déjà atteint avant son admission à l’hôpital.

Sur pourvoi de la victime, le Conseil d’Etat sanctionne cette décision qui revêt selon lui une erreur de droit.

Rappelant les termes de l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, la Haute juridiction rappelle une jurisprudence bien établie aux termes de laquelle doit être considérée comme une infection nosocomiale, au sens de ces dispositions, une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge.

L’arrêt précise que l’infection doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial du seul fait qu’elle était survenue lors de la prise en charge de la victime au sein de l’établissement hospitalier, sans qu’il ait été contesté devant le juge du fond qu’elle n’était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu’il était constant qu’elle n’avait pas d’autre origine que cette prise en charge.

Le Conseil d’Etat précise également qu’il n’y a lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, à savoir la rétraction de la colostomie, avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante.

CE, 5ème – 6ème ch. réu., 1er février 2022, n°440852

La conception élargie de la notion de victime pouvant se constituer partie civile devant le juge d’instruction en matière d’attentat

Dans un communiqué du 15 février 2022 faisant suite à des arrêts rendus le même jours, la Cour de cassation vient préciser la notion de partie civile en matière d’attentats dans les affaires de l’attentat de Nice et de celui de Marseille.

Dans ces trois affaires, la Haute juridiction avait à se prononcer sur la qualité de partie civile civile de :

  • la personne ayant poursuivi le camion engagé sur la promenade des Anglais afin d’en neutraliser le conducteur et qui avait subi un traumatisme psychique grave,
  • celle qui, ayant entendu des cris et des coups de feu, s’était blessé en sautant sur la plage, alors qu’elle se trouvait sur la promenade des Anglais, au-delà du point d’arrêt du camion, ainsi que
  • celle qui ayant tenté de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le pavie de la gare Saint-Charles et qui souffrait d’un traumatisme psychique important.

Dans trois arrêts en date du 15 février 2022, la Haute juridiction répond à cette question par l’affirmative et casse les arrêts rendus par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris laquelle avait confirmé les ordonnances d’irrecevabilité de leur constitution de partie civile respectives et les déclare recevables.

Pour rejeter les constitutions de partie civile, et s’appuyant sur l’article 2 du code de procédure pénale selon lequel l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction, la chambre de l’instruction avait considéré que seule la qualité de victime indirecte pouvait être invoquée dans ces affaires puisque selon elle, le traumatisme subi par les intéressés n’était pas la conséquence directe d’une tentative d’assassinat dont ils auraient été l’objet mais du spectacle, d’une extrême violence, des assassinats en train de se commettre.

La Cour de cassation rappelle quant à elle dans ces trois arrêts de cassation qu’il résulte des articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale que, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elles s’appuient permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

La Haute juridiction précise concernant la première affaire qu’il ressort des circonstances retenues par la chambre de l’instruction que l’action dans laquelle la personne ayant poursuivi le camion s’était engagée pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d’atteintes intentionnelles graves aux personnes, auquel elle s’était ainsi elle-même exposée, était indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle était en relation direct avec ces dernières. (Cass .crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.264)

Concernant la seconde affaire, l’arrêt de cassation précise que les circonstances retenues par la chambre de l’instruction, desquelles il ressort que la victime s’est blessée en tentant de fuir le lieu d’une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée, initiative indissociable de l’action criminelle qui l’a déterminée, suffisent à caractériser la possibilité du préjudice allégué de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives, objet de l’information. ( Cass. Crim. 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265)

La troisième affaire concernant l’attentat de Marseille posait moins de difficulté dans l’analyse puisqu’il ressortait d’évidence de l’analyse de la chambre de l’instruction que l’action dans laquelle la courageuse victime s’était engagée pour interrompre la commission ou empêcher le renouvellement d’atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles elle s’est ainsi elle-même exposée, était indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle était en relation directe avec ces dernières. (Cass. crim., 15 février 2022, pourvoi n°21-80.670)

Ainsi qu’elle le précise dans son communiqué, la Cour de cassation décide d’adopter une conception élargie de la notion de victime pouvant se constituer partie civile devant le juge d’instruction. Cette conception élargie inclut :

  • les individus qui se sont exposés à des atteintes graves à la personne et ont subi un dommage en cherchant à interrompre un attentat, leur intervention étant considéré comme indissociable de l’acte terroriste ;
  • les individus qui, se croyant légitimement exposés, se blessent en fuyant un lieu proche d’un attentat, leur fuite étant considérée comme indissociable de l’acte terroriste.

De la possibilité de cumuler une indemnisation allouée au titre d’un accident de la circulation et celle allouée au titre de l’accident médical survenu ensuite, dans la limite du préjudice global.

Mme X, circulant à cyclomoteur, avait été victime d’un accident de la circulation impliquant un autre véhicule. Souffrant de diverses lésions et fractures des membres inférieurs, elle avait été prise en charge au sein du centre hospitalier d’Annecy qui avait repoussé au lendemain l’opération chirurgicale de réduction des fractures et avait seulement assuré, dans l’attente, une traction de la jambe. Malheureusement, la victime était découverte dans un état de coma le lendemain matin par l’équipe médicale en raison d’une embolie graisseuse survenue pendant la nuit

Mme X avait alors introduit un recours en indemnisation devant une juridiction civile sur le fondement de la loi de 1985 relative aux accidents de la circulation mais son droit à indemnisation s’était alors vu réduit de moitié en raison d’une faute de conduite qui lui était imputée par la cour d’appel de Chambéry.

Mme X avait également saisi le juge administratif d’un recours en indemnisation. Le Tribunal administratif de Grenoble avait partiellement fait droit aux demandes indemnitaires de Mme X qui avait fait appel, ainsi que le Centre Hospitalier d’Annecy. La Cour d’appel de Grenoble annulait le jugement, retenait la responsabilité de l’établissement en raison du retard de prise en charge et du défaut de surveillance, qui, sans être directement à l’origine de l’embolie graisseuse, lui avait fait perdre une chance de 50% d’échapper aux séquelles qui en étaient résulté.

Mais la Cour d’appel, après avoir évalué, en tenant compte de ce que la responsabilité du centre hospitalier n’était engagée qu’à hauteur de 50% des différents postes de préjudices subis par Mme X, le montant global des sommes dues à cette dernière par l’établissement de santé, déduisait de ce montant les sommes qui lui avaient été allouées la cour d’appel de Chambéry .

Mme X interjetait un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction rappelle dans son arrêt que  lorsque la faute commise par un établissement public de santé dans la prise en charge de la victime d’un accident commis par un tiers engage sa responsabilité à l’égard de cette victime, la réparation qui incombe à l’établissement de santé est indépendante du partage de responsabilité susceptible d’être prononcé par la juridiction saisie d’un litige indemnitaire opposant la victime et le tiers auteur de l’accident. Par suite, si cette dernière juridiction a condamné le tiers à indemniser la victime de tout ou partie de ses dommages corporels, cette somme n’a pas à être déduite du montant que l’hôpital doit verser à la victime en réparation de la faute du service public hospitalier. En revanche, la décision du juge administratif ne pouvant avoir pour effet de procurer à la victime une réparation supérieure au montant du préjudice subi, il y a lieu, pour celui-ci, de diminuer la somme mise à la charge de l’hôpital dans la mesure requise pour éviter que le cumul de cette somme et des indemnités que la victime a pu obtenir devant d’autres juridictions excède le montant total des préjudices ayant résulté, pour elle, de l’accident et des conditions de sa prise en charge par l’hôpital.

Il en résulte qu’il appartenait seulement à la cour d’allouer à Mme X la somme due par le centre hospitalier d’Annecy dans la limite de la part de son préjudice global qui n’avait pas été couverte par les sommes allouées par le juge judiciaire, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit et l’arrêt est annulé par le Conseil d’État.

CE, 5ème et 6ème Chambres réunies, 27 décembre 2021, 435632

Au-delà des besoins vitaux dans la détermination des besoins en tierce personne

Dans cette affaire, la victime d’un accident de la circulation avait été longuement hospitalisée avec des retours à domicile le week-end. Elle demandait à la Cour d’appel de l’indemniser de ses besoins personnels en tierce personne lors des retours à domicile, mais également de ses besoins d’assistance pendant son hospitalisation et le week-end pour la prise en charge de ses enfants lorsqu’il était censé les recevoir.

La Cour rejetait sa demande au motif que ces besoins supplémentaires, non abordés lors des opérations d’expertise, étaient insuffisamment justifiés et débordaient du préjudice strictement personnel que la victime avait subi.

Rappelant le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la Cour de cassation sanctionne le juge d’appel et pose clairement le principe selon lequel le poste de préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne.

Espérons que cette position très claire de la Cour de cassation permettra d’atténuer les difficultés que nous rencontrons souvent en pratique, à l’amiable et en judiciaire, lorsqu’il s’agit d’obtenir, au-delà des besoins vitaux, l’indemnisation de tous les besoins en tierce personne de la victime nés de sa perte d’autonomie et l’empêchant d’assurer elle-même les tâches et activités de sa vie antérieure à l’accident, que ce soit dans la sphère personnelle, professionnelle ou sociale.

Cass. 2ème civ., 10 novembre 2021, n°19-10.058

La preuve par tout moyen n’a pas d’âge !

En exigeant, dans le cadre d’une preuve par tout moyen, un écrit contemporain de l’intervention médicale ou corroboré par une pièce établie à l’occasion ou dans les suites de l’intervention, la cour d’appel a violé l’article L. 1221-14 du Code de la santé publique.

Note concernant l’arrêt Cass. 1ère civ., 9 septembre 2020, n 19-16658, à lire dans la Gazette du Palais spécialisée en droit du dommage corporel n°3 du 19 janvier 2021

Les pertes de droits à la retraite doivent être indemnisées, mais à quel titre ?

Viole l’article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique et le principe de réparation intégrale, la cour d’appel qui capitalise une perte de gains professionnels jusqu’à l’âge de départ à la retraite, sans indemniser la perte de retraite au titre de l’incidence professionnelle, alors que la perte des droits à la retraite inhérente à la modification de l’activité professionnelle de la victime doit être indemnisée au titre de la perte de gains professionnels futurs ou de l’incidence professionnelle.

Note concernant l’arrêt Cass. 2ème civ., 16 janvier 2020, n° 18-24847 à lire dans la Gazette du Palais spécialisée en droit du dommage corporel n°3 du 19 janvier 2021

Les pertes de gains doivent être actualisées au jour de la décision

Le préjudice subi par la victime doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date.

Viole le principe de réparation intégrale l’arrêt qui retient, pour fixer la perte de gains professionnels futurs, une perte de rémunération égale à la différence, imputable à l’accident, entre la rémunération nette antérieurement perçue et le montant du smic auquel, seul, l’état actuel de la victime lui permettait de prétendre, alors qu’il lui appartenait d’actualiser le préjudice au jour de sa décision.

Note concernant l’arrêt Cass. 2ème civ., 16 janvier 2020, n 18-24847 à lire dans la Gazette du Palais spécialisée en droit du dommage corporel n°17 du 5 mai 2020

Préjudice sexuel : l’atteinte morphologique doit être recherchée

En rejetant la demande présentée au titre d’un préjudice sexuel, au motif que les experts n’ont pas fait état de ce préjudice, que le trouble indiscutable causé à l’intimité du couple par la nécessité de se soumettre à un parcours de procréation médicalement assistée constitue un préjudice temporaire déjà indemnisé dans le cadre du déficit fonctionnel temporaire et que l’impossibilité de procréer a été réparée au titre du déficit fonctionnel permanent, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la victime avait éprouvé un préjudice morphologique lié à une atteinte aux organes sexuels et, le cas échéant, s’il avait déjà été réparé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Note concernant l’arrêt Cass. 1ère Civ., 28 novembre 2018, n 17-26279, à lire dans la Gazette du Palais spécialisée en droit du dommage corporel n°3 du 22 janvier 2019 

L’impossibilité de reprendre une activité spécifique sportive ou de loisirs peut être d’ordre psychologique

Le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs antérieure nonobstant l’absence d’inaptitude fonctionnelle dès lors que l’état psychologique de la victime fait obstacle à la reprise de ladite activité.

Note concernant l’arrêt Cass. 2ème Civ., 5 juillet 2018, n° 16-21776, à lire dans la Gazette du Palais spécialisée en droit du dommage corporel n°35 du 16 octobre 2018